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Circuit magazine Publié le 22 décembre 2025

Encadrer l’interprétation communautaire pour mieux protéger le public

Le besoin d’interprètes communautaires dans des langues autres que le français et l’anglais est bien réel au Québec. Malheureusement, les personnes qui pratiquent cette profession n’ont pas toujours de formation adéquate, et les instances qui les emploient ne disposent pas des moyens de les évaluer, de les former, ni de vérifier la qualité du service qu’elles offrent. L’absence de formation officielle et d’encadrement de ces interprètes peut constituer un risque pour la sécurité du public ; c’est la raison pour laquelle l’OTTIAQ demande à l’Office des professions du Québec la permission de créer une catégorie d’interprètes autorisés, qui exerceraient sous la supervision de l’Ordre.

Par Anne-Marie Mesa, traductrice agréée

En raison des flux migratoires, le besoin d’interprètes communautaires prend de plus en plus d’ampleur, tant dans le milieu de la santé que dans ceux de la justice, de l’immigration ou de l’éducation. Au Québec, les personnes qui ne maîtrisent ni le français ni l’anglais représentaient 1 % de la population, soit 81 260 personnes, en 2021[i]. Ce besoin se fait aussi sentir chez les Autochtones. En effet, selon le recensement de 2021, il y a 205 010 Autochtones au Québec, dont 78 520 ne parlent ni français ni anglais et 407 905 Autochtones qui parlent anglais seulement[ii].

L’interprétation communautaire permet à ces personnes d’avoir accès à différents services : médicaux, judiciaires, scolaires, etc. Elle aide aussi les membres des ordres professionnels à respecter leur code de déontologie et leurs normes de pratique. Pensons notamment à l’obligation des médecins d’obtenir le consentement libre et éclairé[iii] de leurs patients, ou à celle des avocats d’obtenir le consentement du client au sujet du mandat, ou encore de communiquer avec son client de façon à être compris par ce dernier[iv].

Bien souvent, les interprètes communautaires ne possèdent qu’une formation linguistique minimale et aucune en interprétation. Mis à part celle en français-langue des signes québécoise (LSQ), aucune formation en interprétation communautaire n’est offerte au Québec. Certains milieux communautaires et quelques organismes publics et parapublics offrent bien des formations maison, mais ces entités ne disposent ni de normes de pratique ni de protocoles d’encadrement.

Une pratique risquée
Lorsque l’interprétation est faite par des personnes non formées, elle comporte un risque élevé de préjudice grave ou irrémédiable. À titre d’exemple, certains interprètes ne traduisent pas tous les éléments de sens ou bien prennent position pour l’une ou l’autre partie en présence. Ils ne sont par ailleurs pas toujours conscients des enjeux rattachés à la confidentialité. La qualité et l’intégrité de l’interprétation deviennent ainsi déficientes. En effet, les inexactitudes, les omissions, les ajouts, l’absence de neutralité et la violation de la confidentialité, entre autres manquements, posent des problèmes de protection du public.

Les ministères de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, de la Santé et des Services sociaux, de l’Éducation, de la Justice et des Affaires autochtones sont bien conscients de ces enjeux. Ils sont aux prises avec la nécessité de fournir des services d’interprétation de qualité sans pour autant posséder les outils ni les compétences permettant d’évaluer les capacités des interprètes qu’ils emploient. Ils ne disposent pas non plus des moyens de les former ni de s’assurer de la qualité du service qu’ils rendent.

La solution : un répertoire d’interprètes autorisés
L’OTTIAQ possède une expertise dans ce domaine. C’est pourquoi il a été sollicité par certains de ces ministères pour répondre au besoin d’encadrement des interprètes communautaires. Il y a cinq ans, l’OTTIAQ a mis sur pied le Comité des interprètes communautaires pour tenter de trouver une solution. Le Comité est parvenu aux conclusions suivantes :

  • L’offre de formation adéquate formelle en interprétation communautaire est déficiente; toutefois, pour être membre d’un ordre professionnel, il faut détenir au moins un diplôme collégial dans la discipline concernée.
  • La Charte de la langue française oblige les membres d’un ordre professionnel à posséder une connaissance suffisante de la langue française. Si certains interprètes autochtones pourraient être exemptés[v] de cette obligation, ce n’est pas le cas de nombreux interprètes communautaires en langues autres que les deux langues officielles du Canada, qui ne parlent qu’anglais.
  • Enfin, les besoins dans certaines langues liées aux flux migratoires diminuent au fur et à mesure que les immigrés apprennent le français. Les revenus des interprètes suivent alors la même courbe. Il serait donc difficile d’exiger d’eux une longue formation pour travailler ensuite uniquement à temps partiel.

L’OTTIAQ a donc fait des représentations auprès de l’Office des professions du Québec dans le but de créer un répertoire d’interprètes autorisés. Pour pouvoir s’y inscrire, les interprètes suivraient une formation courte, axée sur la déontologie et les normes de pratique qui leur permettrait d’exercer sous la supervision de l’Ordre. Ces personnes ne seraient pas assujetties aux mêmes obligations que les interprètes de conférence pour ce qui est de la formation de base et de la connaissance du français. Les modalités de d’encadrement de l’exercice de leur profession restent à définir, le but étant que l’OTTIAQ puisse s’acquitter de sa mission de protection du public également avec ce type d’interprètes.

L’OTTIAQ attend une réponse de l’Office.

Participation à une recherche
En attendant, l’Ordre ne reste pas inactif. Il participe au projet de recherche Interstices[vi], dirigé par le professeur Yvan Leanza de l’Université Laval et financé par cette même université, ainsi que par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, par le ministère de la Santé et des Services sociaux et par le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie.  Ce projet vise la création d’un portail de formation qui encadrerait la pratique en interprétation communautaire au Québec. Le portail comprendrait une plateforme d’apprentissage qui permettrait le transfert de connaissances vers les interprètes communautaires, ainsi qu’une plateforme d’échange de connaissances de type questions et réponses destinée aux différents acteurs du domaine. L’objectif du projet de recherche est de tester l’utilité et l’accessibilité du portail et de vérifier l’effet de son utilisation sur les connaissances ainsi que sur la santé et la sécurité des interprètes communautaires.

Dans les prochains mois, l’OTTIAQ poursuivra ses représentations auprès de l’Office des professions ainsi que sa collaboration au projet Interstices. Parce qu’au-delà des impératifs de la Charte de la langue française et de l’Office des professions, les interprètes communautaires continuent de répondre aux besoins de milliers de clients ne parlant pas suffisamment le français ni l’anglais, sans formation officielle reconnue, et sans encadrement.

 

Références

[i] Tableau de profil : Québec [Province], Profil de la population autochtone, Recensement de la population de 2021

[ii] idem

[iii] Voir l’article 28 du Code de déontologie des médecins

[iv] Voir les articles 28 et 26 du Code de déontologie des avocats

[v] Voir le Règlement autorisant les ordres professionnels à déroger à l’application de l’article 35 de la Charte de la langue française

[vi] https://www.ulaval.ca/la-recherche/repertoire-corps-professoral/yvan-leanza

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