Petit à petit, l’IA fait son nid
Voilà deux ans maintenant que l’IA est entrée dans nos vies et elle s’installe rapidement dans notre quotidien à tous, transformant nos façons de faire. Le désormais célèbre ChatGPT a été suivi par de nombreux outils similaires, comme Claude, Perplexity et autres Mistral.
Pour nous, traducteurs, terminologues et interprètes (TTI), l’intelligence artificielle générative est venue s’ajouter aux systèmes neuronaux existants, et a servi à enrichir les outils de traduction automatique dont nous disposions déjà. Elle constitue également un nouvel outil de recherche prisé par de nombreux professionnels.
Les TTI ont également appris à utiliser leur panoplie technologique à bon escient. C’est-à-dire qu’ils et elles savent choisir l’outil le mieux indiqué selon les circonstances, dans le plus grand intérêt de leur client. C’est pourquoi l’OTTIAQ a, dès le début, publié des conseils et un avis destinés au public, afin de le renseigner sur les capacités et limites des outils en ligne, et sur la nécessité de faire appel à un langagier professionnel membre de l’Ordre dès qu’un document, ou une situation d’interprétation, est de nature confidentielle ou sensible.
Mais le nid n’est pas encore stabilisé
L’intelligence artificielle est une technologie dite « de rupture », comme l’a été l’internet dans son temps. Cette rupture a effectivement frappé nos professions de plein fouet. Non pas parce que les langagiers n’ont pas su adapter leurs processus, mais bien parce que leurs clients pensent souvent que la nouvelle technologie est une panacée, surtout pour la traduction.
Certains clients ont pensé pouvoir entièrement se passer de leur fournisseur professionnel. Comment ne pas les comprendre lorsque l’on voit les prouesses des systèmes en ligne sur les textes courants? Il nous revient alors de faire la démonstration des limites de l’IA et d’expliquer que, si elle peut être efficace sur des textes courants, les risques d’erreur sont grands sur des documents plus spécialisés ou sensibles. Et au-delà des risques d’erreur, il y a la confidentialité, la cybersécurité et, surtout, la gestion de la fonction traduction d’une entreprise, qui est impossible sans une centralisation et une uniformisation, pour la cohérence de l’image à tout le moins. J’en veux pour preuve le fait qu’OpenAI et Perplexity elles-mêmes ont embauché des gestionnaires pour leur programme de localisation.
Heureusement, de nombreuses entreprises ont vite pris conscience de la complexité de la traduction et des connaissances et compétences qu’elle exige. Elles sont revenues vers leurs fournisseurs. L’œil et le savoir-faire professionnels ne se remplacent pas si facilement.
D’autres « pré-traitent » leurs textes au moyen d’un outil grand public et confient le résultat à un traducteur pour révision, pensant pouvoir réduire leurs coûts. À ceux-là nous devons répondre que, selon le document et le résultat de la sortie machine, la révision peut parfois prendre plus de temps qu’une traduction exécutée professionnellement, et qu’elle peut donc coûter plus cher qu’on ne le pense. Qui dit plus de temps dit plus d’argent, car tout travail mérite salaire, et tout travail professionnel mérite une rémunération professionnelle.
La stabilisation passe par le professionnalisme
On l’aura compris – et le message de l’OTTIAQ est le même depuis le début –, la réponse idéale est dans la combinaison de la technologie et du savoir-faire humain. Plus précisément, les entreprises seront mieux servies si elles confient leur traduction à un prestataire professionnel, mieux à même d’utiliser le bon outil et, surtout, d’assurer l’exactitude et la confidentialité. L’Ordre compte bien continuer d’informer le public et de le guider vers les solutions les plus sûres.
À cet égard, nous devons mettre en garde contre certaines pratiques qui vont à l’encontre de la protection du public. En effet, plusieurs de nos membres nous ont fait part de la présence, sur le marché, d’entreprises de traduction qui semblent ne pas se préoccuper de leur responsabilité et proposent des services prétendument professionnels alors qu’elles ne font que fournir une traduction automatique sans aucun contrôle qualité. Et lorsqu’elles font faire un contrôle qualité, elles le sous-traitent à des tarifs si bas et des délais si courts qu’il est impossible de fournir un travail fait selon les règles de l’art. Ce genre de pratique est dangereux pour le public. Bien que la concurrence soit toujours bienvenue sur un marché, il existe un certain seuil en deçà duquel la qualité est compromise.
L’OTTIAQ en première ligne
Le conseil d’administration de l’OTTIAQ s’est réuni le 3 octobre dernier pour revoir son plan stratégique et décider des actions à mener dans les mois à venir. Notre réflexion a évidemment porté sur les vents contraires auxquels nos professions sont confrontées actuellement.
À la transformation structurelle engendrée par l’IA, dont j’ai parlé plus haut, s’ajoutent des difficultés conjoncturelles causées par l’incertitude économique. Cette dernière, comme toutes les crises économiques précédentes, fait baisser la demande et entraîne des pertes d’emplois et de clientèle. La traduction est souvent la première victime des coupes budgétaires. Nous ne pouvons malheureusement rien à cela, mais nous pouvons affirmer, par expérience, que les crises passent et que la demande finit par revenir, car les entreprises publient toujours.
Quant au changement structurel que nous vivons, il nous appartient à tous de lui donner la direction que nous souhaitons. Au lieu de subir, nous devons agir. C’est ce que l’OTTIAQ avait décidé de faire lorsqu’il a adopté son plan stratégique 2024-2027. C’est ce qu’il a décidé de continuer de faire dans son plan d’action 2025-2026.
Le plan stratégique 2024-2027 s’articule essentiellement autour de deux grands axes : la sensibilisation du public à une utilisation responsable de l’IA et la préparation des membres aux nouvelles réalités de nos professions.
Concernant le premier axe, nous avons commencé par la publication d’une prise de position sur l’IA, qui a été reprise par la presse, par des interventions auprès de médias pour corriger certaines perceptions erronées et par la publication d’articles en réaction à certains événements. Nous allons poursuivre avec le lancement d’une campagne publicitaire qui fera valoir l’apport de nos professionnels à la protection du public. À cette campagne s’ajoutera une signature que nos membres pourront utiliser individuellement pour souligner leur valeur ajoutée. Nous nous adresserons également à la relève, dans les universités, pour orienter nos étudiants et les préparer.
Concernant le deuxième axe, nous comptons enrichir notre offre de formation continue et la compléter par des conférences sur la relation client, le rôle-conseil, les avancées technologiques et d’autres aspects qui, nous l’espérons, permettront à nos membres de s’affirmer dans leur professionnalisme et de le promouvoir, dans l’intérêt du public. Car si l’OTTIAQ est en première ligne, la transformation ne peut se faire que si le message est porté – et incarné – par chacune et chacun de nous.
Enfin, nous sommes convaincus qu’une réelle protection du public nécessite que les documents les plus importants et sensibles, notamment ceux émis par les membres des autres ordres professionnels, soient automatiquement et obligatoirement confiés à des membres de l’OTTIAQ. Sans mettre une échéance à ce projet, car le facteur temps ne dépend pas de nous, nous nous y attelons, en espérant que, cette fois-ci, l’Office des professions du Québec nous entendra et prêtera l’oreille – et la bonne – à nos arguments.
Betty Cohen, trad. a.

